A.Burnaby - You can't always get what you want

Trois longues années. Tel était le délai qu’il avait fallu à Andrew Burnaby pour s’apercevoir que sa vie ne pourrait décemment pas être normale. Qu’il y avait aussi toutes les chances pour qu’elle soit décevante. Ce n’était sans doute même pas grave puisque le reste du monde ne tardait pas à être déçu aussi, sorti de l’adolescence. Du haut de ses quinze années, Andrew avait eu le temps de voir que l’Humanité était une chose assez décevante. Sans doute aurait-il été plus optimiste dans d’autres circonstances. Mais à l’instant précis de ce sept avril où il se trouvait dans un commissariat de police et que l’on appelait ses parents, le jeune homme se demanda sérieusement s’il avait des raisons d’espérer que la vie devienne intéressante. Ou si ses parents répondraient. Depuis un licenciement qu’il avait été incapable de gérer, son père avait sombré dans la drogue. Poudre, cachets, seringues, le paternel Burnaby essayait tout sous le regard dégoûté de son fils. Regard qui avait d’abord été effrayé mais ne l’était plus. Pour rien au monde Andrew n’aurait souhaité dire que son père le décevait profondément, et que voir son modèle échouer n’était pas choses plaisante. Jouer les indifférents marchait très bien. Il récoltait diverses insultes mais s’en sortait plutôt bien.
Ses parents feraient-ils l’effort de répondre ? Il imaginait le combiné blanc sonner. Sa mère n’était sans doute pas au domicile. Chez une amie, ou partie chercher ses plus jeunes frères. Andrew aurait pu assumer un rôle d’aîné et rentrer avec eux. Il n’y tenait pas non plus. La fuite en avant était préférable. S’il jouait à l’adolescent perdu, on n’avait pas confiance pour les laisser partir avec lui. Il pouvait rentrer un peu plus tôt et enlever les seringues. Son père serait toujours camé. Sa mère se lancerait toujours dans une fuite en avant. Mais avec un peu de chance, il parviendrait à mentir à ses frères. Un merveilleux mensonge qui les rassurerait. Quel bien y avait-il dans l’honnêteté ? La situation familiale ne regardait que ses parents et lui-même, bien que ce soit contre son gré. Les institutrices s’en doutaient sans avoir de réelles preuves. On prétendait que le paternel Burnaby était en recherche de contrat. Les services sociaux ne se donnaient pas la peine de se déplacer dans le Bronx sans être sûrs. Tout allait bien.
Dire qu’il avait déjà passé trois années à errer lamentablement … Si encore, il avait pu mettre quelques sous de côté. Il aurait pu payer une infime partie des études d’un de ses frères. Il y aurait peut-être eu une réussite parmi les Burnaby. Un sur cinq. Pas grand-chose. Mieux que rien.

« Une 'tite signature, monsieur ... »

La main d'Andrew se crispe tandis qu'il tend papier et stylo. Le regard projeté, ou peut-être simplement jeté comme pour quelque chose sans intérêt, le rend malade. Nul besoin d'être télépathe pour lire ce que pense le cadre au costume trois pièces hors de prix. Encore un type qui n'a pas fait d'études. Il ne sait rien. C'est tout le problème. Personne ne sait rien, c'est une partie du problème. Ce soir, après quelques centaines de kilomètres, Andrew sait qu'il retournera vivre dans l'appartement minable qui sert de demeure familiale. L'idée de tout plaquer lui effleure sans cesse l'esprit. Il est persuadé d'être exceptionnel, quand bien même le reste du monde est incapable de s'en apercevoir. Personne, sauf peut-être l'un de ses frères. S'il n'a jamais réussi à lier une vraie relation de confiance avec l'un de ses frères, il adore le plus jeune. De toute sa vie misérable, il n'y a guère que Jamie pour lui prêter de l'attention et lui donner envie de ne pas faire une connerie. Ou Decan, peut-être. Les amis c'est important. Les filles, ça ne compte plus tant que ça. Pas depuis que la dernière l'ait plaqué. Ou plutôt, qu'il l'ait plaquée. Après qu'il l'ait trouvée au lit avec un autre. Ce qui expliquait pourquoi elle ne se plaignait pas de ses horaires dissolus.

« Merci. »

Parfois l'envie lui vient de tout plaquer. De faire quelque chose d'inconsidéré. Qu'a-t-il à perdre ? Une liberté dont il ne profite pas ? Une vie minable ? Avec la libre-circulation des armes, il a tout prévu. Un jour, il pète les plombs. Il ne se rend pas à son travail minable. Franchit le seuil d'une banque, tire quelques coups de feu. On lui file de la monnaie. Les policiers ont été prévus. Ce sera la roulette russe. Un jeu de hasard où il est sûr de gagner. Dans le meilleur des cas, il empoche l'argent et s'en sort bien. Dans le pire des cas, une boîte en sapin. Mais où qu'on aille, c'est peut-être mieux, non ?

Et finalement, puisqu'il est un peu trop lâche, puisqu'il a encore envie de profiter de la vie, Andrew abandonne l'idée. C'est peut-être mieux. Ses frères, du moins un d'entre eux, comptent sur lui. Disons un et demi. Il ne lâchera pas non plu Decan. Ils sont amis, n'est-ce pas ? Et les amis, c'est fait pour se soutenir en cas de coups durs ... De plus en plus souvent, peut-être. Alors le New-Yorkais rejoint la majorité de la population mondiale, ceux qui espèrent voir le monde changer mais ne font pas grand-chose pour que cela arrive. Il attend ou il espère, il ne sait plus réellement. Il n'y a que cette certitude d'être différent, exceptionnel, qui reste. Il sait bien qu'il est juste prétentieux. Mais sa prétention a quelque chose de rassurant. C'est plus simple de jouer les incompris. Plus simple que de s'apercevoir qu'on est presque rien.


Lorsqu'Andrew décide de faire une pause, il est à peine sorti de Washington. Il n'allait pas allumer une cigarette devant un client, ça ne fait pas professionnel. Le patron est arrangeant, tolèrera quelques minutes de retard. Ou il n'y aura qu'à rouler plus vite. Fumer fait partie des choses stupides qu'il fait pour se rassurer. En économisant tout cet argent dépensé en cigarettes, il y aurait un joli pécule. C'est trop dur de tenir sans compensation. Ouais. Encore une belle excuse pour sa lâcheté. La camionnette est proprement garée sur le bas-côté. Le jeune homme en sort, ouvre les portes désormais vides du coffre et s'assoit là. Un très bon coupe-vent. Il déteste les livraisons, mai ne peut pas se permettre de cracher sur sa paie. En faisant tomber la cendre, il lui semble que rien ne pourrait être pire que cette vie pourrie. A moins de devenir comme son père. En levant la tête, c'est la cigarette qui tombe. Ses yeux s'écarquillent. Il le sent mal, ce grand flash. Surtout qu'il vient aussi sur lui. Ca, ça craint.

« Merde. »